Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/184

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dans l’herbe humide ; mais dans mon cœur il y avait l’idée de la mort.

« Ô dieux ! je ne sais quelle profonde tristesse habitait mon âme, mais ce n’était autre chose que la pensée cruelle que je n’étais pas aimé. J’avais vu comme le fantôme du bonheur, j’avais usé de tous les dons de Dieu, j’étais sous le plus beau ciel du monde, en présence de la nature la plus parfaite, du spectacle le plus immense qu’il soit donné aux hommes de voir, mais à quatre cents lieues de la seule femme qui existât pour moi, et qui ignorait jusqu’à mon existence. N’être pas aimé et n’avoir pas l’espoir de l’être jamais ! C’est alors que je fus tenté d’aller demander compte à Dieu de ma singulière existence. Il n’y avait qu’un pas à faire : à l’endroit où j’étais, la montagne était coupée comme une falaise, la mer grondait au bas, bleue et pure ; ce n’était plus qu’un moment à souffrir. Oh ! l’étourdissement de cette pensée fut terrible. Deux fois je me suis élancé, et je ne sais quel pouvoir me rejeta vivant sur la terre, que j’embrassai. Non, mon Dieu ! vous ne m’avez pas créé pour mon éternelle souffrance. Je ne veux pas vous outrager par ma mort ; mais donnez-moi la force, donnez-moi le pouvoir, donnez-moi surtout la résolution, qui fait que les uns arrivent au trône, les autres à la gloire, les autres à l’amour ! »


Pendant cette nuit étrange, un phénomène assez rare s’était accompli. Vers la fin de la nuit, toutes les ouvertures de la maison où je me trouvais s’étaient éclairées, une poussière chaude et soufrée m’empêchait de respirer, et, laissant ma facile conquête endormie sur la terrasse, je m’engageai dans les ruelles qui conduisent au château Saint-Elme ; à mesure que je gravissais la montagne, l’air pur du matin venait gonfler mes poumons ; je me reposais délicieusement sous les treilles des villas, et je contemplais sans terreur le Vésuve couvert encore d’une coupole de fumée.

C’est en ce moment que je fus saisi de l’étourdissement dont j’ai parlé ; la pensée du rendez-vous qui m’avait été donné par