Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/219

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fenêtre de la chambre, ils virent rentrer les troupes au fort, et, la nuit s’approchant, les glacis se bordèrent de soldats en négligé qui savouraient le pain de munition et le fromage de chèvre fourni par la cantine.

« Cependant, Wilhelm, en homme qui veut tromper l’heure et la faim, avait allumé sa pipe, et sur le seuil de la porte il se reposait entre la fumée du tabac et celle du repas, double volupté pour l’oisif et pour l’affamé. Les officiers, à l’aspect de ce voyageur bourgeois dont la casquette était enfoncée jusqu’aux oreilles et les lunettes bleues braquées vers la cuisine, comprirent qu’ils ne seraient pas seuls à table et voulurent lier connaissance avec l’étranger ; car il pouvait venir de loin, avoir de l’esprit, raconter des nouvelles, et, dans, ce cas, c’était une bonne fortune ; ou arriver des environs, garder un silence stupide, et alors c’était un niais dont on pouvait rire.

« Un sous-lieutenant des écoles s’approcha de Wilhelm avec une politesse qui frisait l’exagération.

« — Bonsoir, monsieur ; savez-vous des nouvelles de Paris ?

« — Non, monsieur ; et vous ? dit tranquillement Wilhelm.

« — Ma foi, monsieur, nous ne sortons pas de Bitche, comment saurions-nous quelque chose ?

« — Et moi, monsieur, je ne sors jamais de mon cabinet.

« — Seriez-vous dans le génie ?

« Cette raillerie dirigée contre les lunettes de Wilhelm égaya beaucoup l’assemblée.

« — Je suis clerc de notaire, monsieur.

« — En vérité ? À votre âge, c’est surprenant.

« — Monsieur, dit Wilhelm, est-ce que vous voudriez voir mon passe-port ?

« — Non, certainement.

« — Eh bien, dites-moi que vous ne vous moquez pas de ma personne, et je vais vous satisfaire sur tous les points.

« L’assemblée reprit son sérieux.