Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/240

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rouge, avec la queue naturelle et qui, sans la moindre timidité, tirait force pétards et soleils d’artifice, au grand dommage de toutes les barbes et les fraises qui n’avaient pas élargi le cercle assez vite.

Pour son maître, c’était une de ces figures du type bohémien, commun cent ans avant, déjà rare alors et aujourd’hui noyé et perdu dans la laideur et l’insignifiance de nos têtes bourgeoises : un profil en fer de hache, front élevé mais droit, nez très-long et très-bossu, et cependant ne surplombant pas comme les nez romains, mais fort retroussé au contraire, et dépassant à peine de sa pointe la bouche aux lèvres minces très-avancées, et le menton rentré ; puis des yeux longs et fendus obliquement sous leurs sourcils, dessinés comme un V, et de longs cheveux noirs complétant l’ensemble ; enfin, quelque chose de souple et de dégagé dans les gestes et dans toute l’attitude du corps témoignait un drôle adroit de ses membres et brisé de bonne heure à plusieurs métiers et à beaucoup d’autres.

Son habillement était un vieux costume de bouffon, qu’il portait avec dignité ; sa coiffure, un grand chapeau de feutre à larges bords, extrêmement froissé et recroquevillé ; maître Gonin était le nom que tout le monde lui donnait, soit à cause de son habileté et de ses tours d’adresse, soit qu’il descendît effectivement de ce fameux jongleur qui fonda, sous Charles VII, le théâtre des Enfants-sans-Souci et porta le premier le titre de Prince des Sots, lequel, à l’époque de cette histoire, avait passé au seigneur d’Engoulevent, qui en soutint les prérogatives souveraines jusque devant les parlements.


V

LA BONNE AVENTURE

L’escamoteur, voyant amassé un assez bon nombre de gens, commença quelques tours de gobelets qui excitèrent une