Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/242

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il compte se retirer et vous laisser son commerce. Pour l’avenir, tendez-moi votre main.

Eustache, très-étonné, tendit sa main ; l’escamoteur en examina curieusement les lignes, fronça le sourcil avec un air d’hésitation et appela son singe comme pour le consulter. Celui-ci prit la main, la regarda, puis s’allant poster sur l’épaule de son maître, sembla lui parler à l’oreille ; mais il agitait seulement ses lèvres très vite, comme font les animaux lorsqu’ils sont mécontents.

— Chose bizarre ! s’écria enfin maître Gonin, qu’une existence si simple dès l’abord, si bourgeoise, tende vers une transformation si peu commune, vers un but si élevé !… Ah ! mon jeune coquardeau, vous romprez votre coque ; vous irez haut, très haut… vous mourrez plus grand que vous n’êtes.

— Bon ! dit Eustache en soi-même, c’est ce que ces gens-là vous promettent toujours. Mais comment donc sait-il les choses qu’il m’a dites en premier ? Cela est merveilleux !… À moins toutefois qu’il ne me connaisse de quelque part.

Cependant il tira de sa bourse l’écu rogné du magistrat, en priant l’escamoteur de lui rendre sa monnaie. Peut-être avait-il parlé trop bas ; mais celui-ci n’entendit point car il reprit ainsi, en roulant l’écu dans ses doigts :

— Je vois assez que vous savez vivre, aussi j’ajouterai quelques détails à la prédiction très-véritable, mais un peu ambiguë, que je vous ai faite. Oui, mon compagnon, bien vous a pris de ne me point solder d’un sol comme les autres, encore que votre écu perde un bon quart ; mais n’importe, cette blanche pièce vous sera un miroir éclatant où la vérité pure va se refléter.

— Mais, observa Eustache, ce que vous m’avez dit de mon élévation n’était-ce donc pas la vérité ?

— Vous m’avez demandé votre bonne aventure, et je vous l’ai dite, mais la glose y manquait… Çà, comment comprenez-vous le but élevé que j’ai donné à votre existence dans ma prédiction ?