Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/283

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Reparlons de la Cydalise, ou plutôt, n’en disons qu’un mot : elle est embaumée et conservée à jamais dans le pur cristal d’un sonnet de Théophile, — du Théo, comme nous disions.

Le Théophile a toujours passé pour gras ; il n’a jamais cependant pris de ventre, et s’est conservé tel encore que nous le connaissions. Nos vêtements étriqués sont si absurdes, que l’Antinoüs, habillé d’un habit, semblerait énorme, comme la Vénus, habillée d’une robe moderne : l’un aurait l’air d’un fort de la halle endimanché, l’autre d’une marchande de poisson. L’armature solide du corps de notre ami (on peut le dire, puisqu’il voyage en Grèce aujourd’hui) lui fait souvent du tort près des dames abonnées aux journaux de modes ; une connaissance plus parfaite lui a maintenu la faveur du sexe le plus faible et le plus intelligent ; il jouissait d’une grande réputation dans notre cercle, et ne se mourait pas toujours aux pieds chinois de la Cydalise.

En remontant plus haut dans mes souvenirs, je retrouve un Théophile maigre… Vous ne l’avez pas connu. Je l’ai vu, un jour, étendu sur un lit, — long et vert, — la poitrine chargée de ventouses. Il s’en allait rejoindre, peu à peu, son pseudonyme, Théophile de Viau, dont vous avez décrit les amours panthéistes, par le chemin ombragé de l’Allée de Sylvie. Ces deux poëtes, séparés par deux siècles, se seraient serré la main, aux Champs-Élysées de Virgile, beaucoup trop tôt.

Voici ce qui s’est passé à ce sujet :

Nous étions plusieurs amis, d’une bohème antérieure, qui menions gaiement l’existence que nous menons encore quoique plus rassis. Le Théophile mourant nous faisait peine, et nous avions des idées nouvelles d’hygiène, que nous communiquâmes aux parents. Les parents comprirent, chose rare ; mais ils aimaient leur fils. On renvoya le médecin, et nous dîmes à Théo :

— Lève-toi… et viens boire.

La faiblesse de son estomac nous inquiéta d’abord. (Il s’était endormi et senti malade à la première représentation de Robert