Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/292

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dire, ou de poursuivre une littérature d’imitation servile qui ira jusqu’où elle pourra ; c’est-à dire qui ressemblera à cette suite de dessins si connue où, par des copies successives et dégradées, on parvient à faire au profil d’Apollon une tête hideuse de grenouille.

De pareilles observations sont bien vieilles, sans doute ; mais il ne faut pas se lasser de les remettre devant les yeux du public, puisqu’il y a des gens qui ne se lassent pas de répéter les sophismes qu’elles ont réfutés depuis longtemps. En général, on paraît trop craindre, en littérature, de redire sans cesse les bonnes raisons ; on écrit trop pour ceux qui savent ; et il arrive de là que les nouveaux auditeurs qui surviennent tous les jours à cette grande querelle, ou ne comprennent point une discussion déjà avancée, ou s’indignent de voir tout à coup, et sans savoir pourquoi, remettre en question des principes adoptés depuis des siècles.

Il ne s’agit donc pas (loin de nous une telle pensée !) de déprécier le mérite de tant de grands écrivains à qui la France doit sa gloire ; mais, n’espérant point faire mieux qu’eux, de chercher à faire autrement, et d’aborder tous les genres de littérature dont ils ne se sont point emparés.

Et ce n’est pas à dire qu’il faille pour cela imiter les étrangers, mais seulement suivre l’exemple qu’ils nous ont donné, en étudiant profondément nos poëtes primitifs, comme ils ont fait des leurs.

Car toute littérature primitive est nationale, n’étant créée que pour répondre à un besoin, et conformément au caractère et aux mœurs du peuple qui l’adopte ; d’où il suit que, de même qu’une graine contient un arbre entier, les premiers essais d’une littérature renferment tous les germes de son développement futur, de son développement complet et définitif.

Il suffit, pour faire comprendre ceci, de rappeler ce qui s’est passé chez nos voisins : après des littératures d’imitation étrangère, comme était notre littérature dite classique, après le siècle de Pope et d’Addison, après celui de Wieland et de Lessing,