Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/300

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l’accroissement de ta langue et veux y exceller, de n’imiter à pied levé, comme naguère a dit quelqu’un, les plus fameux auteurs d’icelle ; chose certainement aussi vicieuse comme de nul profit à notre vulgaire, vu que ce n’est autre chose, sinon lui donner ce qui était à lui. »

Il jette un regard sur l’avenir, et ne croit pas qu’il faille désespérer d’égaler les Grecs et les Romains : « Et comme Homère se plaignait que, de son temps, les corps étaient trop petits, il ne faut point dire que les esprits modernes ne sont à comparer aux anciens ; l’architecture, l’art du navigateur et autres inventions antiques, certainement sont admirables, et non si grandes toutefois qu’on doive estimer les cieux et la nature d’y avoir dépensé toute leur vertu, vigueur et industrie. Je produirai pour témoins de ce que je dis l’imprimerie, sœur des Muses et dixième d’elles, et cette non moins admirable que pernicieuse foudre d’artillerie ; avec tant d’autres non antiques inventions qui montrent véritablement que, par le long cours des siècles, les esprits des hommes ne sont point si abâtardis qu’on voudrait bien dire. Mais j’entends encore quelque opiniâtre s’écrier : « Ta langue tarde trop à recevoir sa perfection » et je dis que ce retardement ne prouve point qu’elle ne puisse la recevoir ; je dis encore qu’elle se pourra tenir certain de la garder longuement, l’ayant acquise avec si longue peine ; suivant la loi de nature qui a voulu que tout arbre qui naît fleurit et fructifie bientôt, bientôt aussi vieillisse et meure, et au contraire que celui-là dure par longues années qui a longuement travaillé à jeter ses racines. »

Ici finit le premier livre, où il n’a été encore question que de la langue et du style poétique ; dans le second, la question est abordée plus franchement, et l’intention de renverser l’ancienne littérature et d’y substituer les formes antiques est exprimée avec plus d’audace :

« Je penserai avoir beaucoup mérité des miens si je leur montre seulement du doigt le chemin qu’ils doivent suivre