Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/314

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Ne me pouvant soûler, ainsi qu’en un tableau,
D’admirer la nature et ce qu’elle a de beau,
Et de dire en passant aux fleurettes écloses :
« Celui est presque Dieu qui connoît toutes choses.
Écarté du vulgaire et loin des courtisans
De fraude et de malice impudents artisans. »

Tantôt j’errois seulet par les forêts sauvages
Sur les bords émaillés des peinturés rivages ;
Tantôt par les rochers reculés et déserts,
Tantôt par les taillis, verte maison des cerfs.
J’aimois le cours suivi d’une longue rivière,
À voir onde sur onde allonger sa carrière,
Et flot à l’autre flot en roulant s’attacher ;
Et, penché sur les bords, me plaisoit d’y pécher.
Étant plus réjoui d’une chasse muette,
Troubler des écaillés la demeure secrète,
Tirer avec la ligne en tremblant emporté
Le crédule poisson pris à l’haim appâté,
Qu’un grand prince n’est aise ayant pris à la chasse
Un cerf qu’en haletant tout un jour il pourchasse :
Heureux si vous eussiez d’un mutuel émoi
Pris l’appât amoureux aussi bien comme moi…
Las ! couché dessus l’herbe, en mes discours je pense
Que, pour aimer beaucoup, j’ai peu de récompense,
Et que mettre son cœur aux dames si avant,
C’est vouloir peindre en l’onde et arrêter le vent.
M’assurant toutefois qu’alors que le vieil âge
Aura, comme sorcier, changé votre visage,
Et lorsque vos cheveux deviendront argentés,
Et que vos yeux d’amour ne seront plus hantés,
Que toujours vous aurez, quelque soin qui vous touche.
En l’esprit mes écrits, mon nom en votre bouche.


Le lecteur doit être bien surpris de ne point rencontrer là cette muse en françois parlant grec et latin contre laquelle Boileau s’escrime si rudement, de fort bien comprendre ce patois que jargonnoit Ronsard à la cour des Valois, et de ne le point trouver si éloigné qu’il croyait du beau françois d’aujourd’hui. C’est qu’il n’est pas en littérature de plus étrange destinée que celle de Ronsard : idole d’un siècle éclairé ; il-