Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/342

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

haut fonctionnaire, lui parle de ses parents, de ses entours, lui raconte des scènes du grand monde, et s’étonne un peu de ne pouvoir, lui, Saint-Cricq, aller souper paisiblement dans un café où il a ses habitudes.

« Le préfet, fatigué, lui donne quelqu’un pour l’accompagner. Il retourne au café Anglais, dont l’agent fait ouvrir la porte ; Saint-Cricq triomphant demande ses salades et ses chocolats ordinaires, et adresse à ses ennemis cette objurgation :

« — Je suis ici par la volonté de mon père et de M. le préfet, etc., et je n’en sortirai, etc.

— Ton histoire est jolie, dis-je à mon ami, mais je la connaissais, et je ne l’ai écoutée que pour l’entendre raconter par toi. Nous savons toutes les facéties de ce bonhomme, ses grandeurs et sa décadence, ses quarante fiacres, son amitié pour Harel et ses procès avec la Comédie-Française, en raison de ce qu’il admirait trop hautement Molière. Il traitait les ministres d’alors de polichinelles. Il osa s’adresser plus haut… Le monde ne pouvait supporter de telles excentricités. — Soyons gais, mais convenables. Ceci est la parole du sage.


V

LES NUITS DE LONDRES

— Eh bien, si nous ne soupons pas dans la haute, dit mon ami, je ne sais guère où nous irions à cette heure-ci. Pour la Halle, il est trop tôt encore. J’aime que cela soit peuplé autour de moi. Nous avions récemment, au boulevard du Temple, dans un café près de l’Épi-Scié, une combinaison de soupers à un franc, où se réunissaient principalement des modèles, hommes et femmes, employés quelquefois dans les tableaux vivants ou dans les drames et vaudevilles à poses. Des festins de Trimalcion comme ceux du vieux Tibère à Caprée. On a encore fermé cela.