Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/355

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Le petit carreau des halles commençait à s’animer. Les charrettes des maraîchers, des mareyeurs, des beurriers, des verduriers, se croisaient sans interruption. Les charretiers arrivés au port se rafraîchissaient dans les cafés et dans les cabarets, ouverts sur cette place pour toute la nuit. Dans la rue Mauconseil, ces établissements s’étendent jusqu’à la halle aux huîtres ; dans la rue Montmartre, de la pointe Saint-Eustache à la rue du jour.

On trouve là, à droite, des marchands de sangsues ; l’autre côté est occupé par les pharmaciens-Raspail et les débitants de cidre, chez lesquels on peut se régaler d’huîtres et de tripes à la mode de Caen. Les pharmacies ne sont pas inutiles, à cause des accidents ; mais, pour des gens sains qui se promènent, il est bon de boire un verre de cidre ou de poiré. C’est rafraîchissant.

Nous demandâmes du cidre nouveau, car il n’y a que des Normands ou des Bretons qui puissent se plaire au cidre dur. — On nous répondit que les cidres nouveaux n’arriveraient que dans huit jours, et qu’encore la récolte était mauvaise.

— Quant aux poirés, ajouta-t-on, ils sont arrivés depuis hier ; ils avaient manqué l’année passée.

La ville de Domfront (ville de malheur) est cette fois très heureuse. Cette liqueur blanche et écumante comme le champagne rappelle beaucoup la blanquette de Limoux. Conservée en bouteille, elle grise très-bien son homme. — Il existe de plus une certaine eau-de-vie de cidre de la même localité, dont le prix varie selon la grandeur des petits verres. Voici ce que nous lûmes sur une pancarte attachée au flacon :


Le monsieur 
 4 sous.
La demoiselle 
 2 sous.
Le misérable 
 1 sous.


Cette eau-de-vie, dont les diverses mesures sont ainsi qualifiées, n’est point mauvaise et peut servir d’absinthe. Elle est inconnue sur les grandes tables.