Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/37

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quelques mots qu’on lui avait appris, mais dont le bavardage confus me parut avoir un sens : il me rappela celui de la vision que j’ai racontée plus haut, et je sentis un frémissement de mauvais augure. Quelques pas plus loin, je rencontrai un ami que je n’avais pas vu depuis longtemps et qui demeurait dans une maison voisine. Il me fit voir sa propriété, et, dans cette visite, il me fit monter sur une terrasse élevée d’où l’on découvrait un vaste horizon. C’était au coucher du soleil. En descendant les marches d’un escalier rustique, je fis un faux pas, et ma poitrine alla porter sur l’angle d’un meuble. J’eus assez de force pour me relever et m’élançai jusqu’au milieu du jardin, me croyant frappé à mort, mais voulant, avant de mourir, jeter un dernier regard au soleil couchant. Au milieu des regrets qu’entraîne un tel moment, je me sentais heureux de mourir ainsi, à cette heure, et au milieu des arbres, des treilles et des fleurs d’automne. Ce ne fut cependant qu’un évanouissement, après lequel j’eus encore la force de regagner ma demeure pour me mettre au lit. La fièvre s’empara de moi ; en me rappelant de quel point j’étais tombé, je me souvins que la vue que j’avais admirée donnait sur un cimetière, celui même où se trouvait le tombeau d’Aurélia. Je n’y pensai véritablement qu’alors ; sans quoi, je pourrais attribuer ma chute à l’impression que cet aspect m’aurait fait éprouver. — Cela même me donna l’idée d’une fatalité plus précise. Je regrettai d’autant plus que la mort ne m’eût pas réuni à elle. Puis, en y songeant, je me dis que je n’en étais pas digne. Je me représentai amèrement la vie que j’avais menée depuis sa mort, me reprochant, non de l’avoir oubliée, ce qui n’était point arrivé, mais d’avoir, en de faciles amours, fait outrage à sa mémoire. L’idée me vint d’interroger le sommeil : mais son image, qui m’était apparue souvent, ne revenait plus dans mes songes. Je n’eus d’abord que des rêves confus, mêlés de scènes sanglantes. Il semblait que toute une race fatale se fût déchaînée au milieu du monde idéal que j’avais vu autrefois