Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prit désolé qui vivifiait mon corps, affaibli, dédaigné, méconnu d’elle, se voyait à jamais destiné au désespoir ou au néant. J’employai toutes les forces de ma volonté pour pénétrer encore le mystère dont j’avais levé quelques voiles. Le rêve se jouait parfois de mes efforts et n’amenait que des figures grimaçantes et fugitives. Je ne puis donner ici qu’une idée assez bizarre de ce qui résulta de cette contention d’esprit. Je me sentais glisser comme sur un fil tendu dont la longueur était infinie. La terre, traversée de veines colorées de métaux en fusion, comme je l’avais vue déjà, s’éclaircissait peu à peu par l’épanouissement du feu central, dont la blancheur se fondait avec les teintes cerise qui coloraient les flancs de l’orbe intérieur. Je m’étonnais de temps en temps de rencontrer de vastes flaques d’eau, suspendues comme le sont les nuages dans l’air, et toutefois offrant une telle densité, qu’on pouvait en détacher des flocons ; mais il est clair qu’il s’agissait là d’un liquide différent de l’eau terrestre, et qui était sans doute l’évaporation de celui qui figurait la mer et les fleuves pour le monde des esprits.

J’arrivai en vue d’une vaste plage montueuse et toute couverte d’une espèce de roseaux de teinte verdâtre, jaunis aux extrémités comme si les feux du soleil les eussent en partie desséchés, — mais je n’ai pas vu de soleil plus que les autres fois. — Un château dominait la côte que je me mis à gravir. Sur l’autre versant, je vis s’étendre une ville immense. Pendant que j’avais traversé la montagne, la nuit était venue, et j’apercevais les lumières des habitations et des rues. En descendant, je me trouvai dans un marché où l’on vendait des fruits et des légumes pareils à ceux du Midi.

Je descendis par un escalier obscur et me trouvai dans les rues. On affichait l’ouverture d’un casino, et les détails de sa distribution se trouvaient énoncés par articles. L’encadrement typographique était fait de guirlandes de fleurs si bien représentées et coloriées, qu’elles semblaient naturelles. — Une partie du bâtiment était encore en construction. J’entrai dans