Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/56

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nent, c’est sans doute à condition que l’on s’abstiendra à jamais du mal, et qu’on réparera tout celui qu’on a fait. Cela se peut-il ?… Dès ce moment, essayons de ne plus mal faire, et rendons l’équivalent de tout ce que nous pouvons devoir.

J’avais un tort récent envers une personne ; ce n’était qu’une négligence, mais je commençai par m’en aller m’excuser. La joie que je reçus de cette réparation me fit un bien extrême ; j’avais un motif de vivre et d’agir désormais, je reprenais intérêt au monde.

Des difficultés surgirent : des événements inexplicables pour moi semblèrent se réunir pour contrarier ma bonne résolution. La situation de mon esprit me rendait impossible l’exécution de travaux convenus. Me croyant bien portant désormais, on devenait plus exigeant, et, comme j’avais renoncé au mensonge, je me trouvais pris en défaut par des gens qui ne craignaient pas d’en user. La masse des réparations à faire m’écrasait en raison de mon impuissance. Des événements politiques agissaient indirectement, tant pour m’affliger que pour m’ôter le moyen de mettre ordre à mes affaires. La mort d’un de mes amis vint compléter ces motifs de découragement. Je revis avec douleur son logis, ses tableaux qu’il m’avait montrés avec joie un mois auparavant ; je passai près de son cercueil au moment où on l’y clouait. Comme il était de mon âge et de mon temps, je me dis :

— Qu’arriverait-il, si je mourais ainsi tout à coup ?

Le dimanche suivant, je me levai en proie à une douleur morne. J’allai visiter mon père, dont la servante était malade, et qui paraissait avoir de l’humeur. Il voulut aller seul chercher du bois à son grenier, et je ne pus lui rendre que le service de lui tendre une bûche dont il avait besoin. Je sortis consterné. Je rencontrai dans les rues un ami qui voulait m’emmener dîner chez lui pour me distraire un peu. Je refusai, et, sans avoir mangé, je me dirigeai vers Montmartre. Le cimetière était fermé, ce que je regardai comme un mauvais présage. Un poëte allemand m’avait donné quelques