Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des âmes fraternelles qui, délivrées de leurs corps mortels, travaillaient plus librement à la régénération de l’univers.

Pour moi déjà, le temps de chaque journée semblait augmenté de deux heures ; de sorte qu’en me levant aux heures fixées par les horloges de la maison, je ne faisais que me promener dans l’empire des ombres. Les compagnons qui m’entouraient me semblaient endormis et pareils aux spectres du Tartare, jusqu’à l’heure où pour moi se levait le soleil. Alors, je saluais cet astre par une prière, et ma vie réelle commençait.

Du moment que je me fus assuré de ce point que j’étais soumis aux épreuves de l’initiation sacrée, une force invincible entra dans mon esprit. Je me jugeais un héros vivant sous le regard des dieux ; tout dans la nature prenait des aspects nouveaux, et des voix secrètes sortaient de la plante, de l’arbre, des animaux, des plus humbles insectes, pour m’avertir et m’encourager. Le langage de mes compagnons avait des tours mystérieux dont je comprenais le sens, les objets sans forme et sans vie se prêtaient eux-mêmes aux calculs de mon esprit ; — des combinaisons de cailloux, des figures d’angles, de fentes ou d’ouvertures, des découpures de feuilles, des couleurs, des odeurs et des sons, je voyais ressortir des harmonies jusqu’alors inconnues.

— Comment, me disais-je, ai-je pu exister si longtemps hors de la nature et sans m’identifier à elle ? Tout vit, tout agit, tout se correspond ; les rayons magnétiques émanés de moi-même ou des autres traversent sans obstacle la chaîne infinie des choses créées ; c’est un réseau transparent qui couvre le monde, et dont les fils déliés se communiquent de proche en proche aux planètes et aux étoiles. Captif en ce moment sur la terre, je m’entretiens avec le chœur des astres, qui prend part à mes joies et à mes douleurs !

Aussitôt je frémis en songeant que ce mystère même pouvait être surpris.

— Si l’électricité, me dis-je, qui est le magnétisme des