Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/98

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de Crimée, ainsi que l’a proclamé l’astucieux récit de La Rancune ? Comment de cet abaissement inouï s’élancera-t-il aux plus hautes destinées ?… Voilà des points qui ne vous embarrasseraient nullement sans doute, mais qui m’ont jeté dans le plus étrange désordre d’esprit. Une fois persuadé que j’écrivais ma propre histoire, je me suis mis à traduire tous mes rêves, toutes mes émotions, je me suis attendri à cet amour pour une étoile fugitive qui m’abandonnait seul dans la nuit de ma destinée, j’ai pleuré, j’ai frémi des vaines apparitions de mon sommeil. Puis un rayon divin a lui dans mon enfer ; entouré de monstres contre lesquels je luttais obscurément, j’ai saisi le fil d’Ariane, et dès lors toutes mes visions sont devenues célestes. Quelque jour j’écrirai l’histoire de cette « descente aux enfers, » et vous verrez qu’elle n’a pas été entièrement dépourvue de raisonnement si elle a toujours manqué de raison.

Et puisque vous avez eu l’imprudence de citer un des sonnets composés dans cet état de rêverie super-naturaliste, comme diraient les Allemands, il faut que vous les entendiez tous. — Vous les trouverez dans mes poésies. Ils ne sont guère plus obscurs que la métaphysique d’Hégel ou les mémorables de Swedenborg, et perdraient de leur charme à être expliqués, si la chose était possible, concédez-moi du moins le mérite de l’expression ; — la dernière folie qui me restera probablement, ce sera de me croire poëte : c’est à la critique de m’en guérir.

1854