Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/54

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et comme une femme qui avait toujours vécu au-dessus du besoin. Elle se coiffait avec goût et de la même manière que Jeannette Rousseau. Elle faisait venir ses chaussures de Paris et les choisissait à talons minces et élevés, faisant valoir la finesses de sa jambe, qui était couverte d’un bas de coton à coins bleus bien tiré. C’était le jour de l’Assomption ; il faisait chaud ; la gouvernante ; après vèpres, se déshabilla et se mit en blanc. Les enfants de chœur jouaient dans la cour, l’abbé Thomas était à l’église, Nicolas étudiait à sa petite table près d’une fenêtre ; Marguerite, dans la même chambre, épluchait une salade ; les yeux du jeune homme se détournaient de temps en temps de son travail, et il suivait les mouvements de Marguerite, tout en pensant à Jeannette. Ce qui unissait en lui ces deux idées, c’était le souvenir de la rencontre de Marguerite et de Jeannette quelque temps auparavant, au sortir de l’église.

— Sœur Marguerite, dit-il, est-ce que Mlle Jeannette Rousseau est bien riche ? Vous savez, la fille du notaire…

Marguerite fit un mouvement de surprise, quitta sa salade et vint vers Nicolas.

— Pourquoi me demandez-vous cela, mon enfant ? dit-elle.

— Parce que vous la connaissez… et mes parents seraient peut-être bien contents, si j’épousais une demoiselle riche…

La finesse de l’écolier, qui voulait concilier à la fois la prévoyance paternelle avec sa flamme platonique, n’échappa point à la gouvernante ; mais une pensée inconnue traversa tout à coup son esprit, et elle vint s’asseoir, attendrie, la poitrine gonflée de soupirs, auprès de la table de Nicolas. Alors elle lui raconta avec effusion qu’autrefois M. Rousseau, le père de Jeannette, l’avait recherchée en mariage et n’avait pu l’obtenir.

— De sorte, dit-elle, que j’aime cette jolie fille, en me disant que j’aurais pu être… sa mère ! Et vous, ajouta-t-elle, mon