Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
105
LES FEMMES DU CAIRE.

éloignée, certes, du type de la beauté convenue parmi nous. La proéminence de la mâchoire, le front déprimé, la lèvre épaisse, classent ces pauvres créatures dans une catégorie presque bestiale, et cependant, à part ce masque étrange dont la nature les a dotées, le corps est d’une perfection rare, des formes virginales et pures se dessinent sous leurs tuniques, et leur voix sort douce et vibrante d’une bouche éclatante de fraîcheur.

Eh bien, je ne m’enflammerai pas pour ces jolis monstres ; mais sans doute les belles dames du Caire doivent aimer à s’entourer de chambrières pareilles. Il peut y avoir ainsi des oppositions charmantes de couleur et de forme ; ces Nubiennes ne sont point laides dans le sens absolu du mot, mais forment un contraste parfait avec la beauté telle que nous la comprenons. Une femme blanche doit ressortir admirablement au milieu de ces filles de la nuit, que leurs formes élancées semblent destiner à tresser les cheveux, tendre les étoffes, porter les flacons et les vases, comme dans les fresques antiques.

Si j’étais en état de mener largement la vie orientale, je ne me priverais pas de ces pittoresques créatures ; mais, ne voulant acquérir qu’une esclave, j’ai demandé à en voir d’autres chez lesquelles l’angle facial fût plus ouvert et la teinte noire moins prononcée.

— Cela dépend du prix que vous voulez mettre, me dit Abdallah ; celles que vous voyez là ne coûtent guère que deux bourses (deux cent cinquante francs) ; on les garantit pour huit jours : vous pouvez les rendre au bout de ce temps, si elles ont quelque défaut ou quelque infirmité.

— Mais, observai-je, je mettrais volontiers quelque chose de plus ; une femme un peu jolie ne coûte pas plus à nourrir qu’une autre.

Abdallah ne paraissait pas partager mon opinion.

Nous passâmes aux autres chambres ; c’étaient encore des filles du Sennaar. Il y en avait de plus jeunes et de plus belles ; mais le type facial dominait avec une singulière uniformité.