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VI

LA SANTA-BARBARA



I — UN COMPAGNON

« Istamboldan ! ah ! yélir firman !
Yélir, yélir, Istamboldan ! »

C’était une voix grave et douce, une voix de jeune homme blond ou de jeune fille brune, d’un timbre frais et pénétrant, résonnant comme un chant de cigale altérée à travers la brume poudreuse d’une matinée d’Égypte. J’avais entr’ouvert, pour l’entendre mieux, une des fenêtres de la cange, dont le grillage doré se découpait, hélas ! sur une côte aride ; nous étions loin déjà des plaines cultivées et des riches palmeraies qui entourent Damiette. Partis de cette ville à l’entrée de la nuit, nous avions atteint en peu de temps le rivage d’Esbeh, qui est l’échelle maritime et l’emplacement primitif de la ville des croisades. Je m’éveillais à peine, étonné de ne plus être bercé par les vagues, et ce chant continuait à résonner par intervalles comme venant d’une personne assise sur la grève, mais cachée par l’élévation des berges. Et la voix reprenait encore avec une douceur mélancolique :

« Kaïkélir ! Istamboldan !…
Yélir, yélir, Istamboldan ! »

Je comprenais bien que ce chant célébrait Stamboul dans un langage nouveau pour moi, qui n’avait plus les rauques con-