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DRUSES ET MARONITES.

neuf degrés de l’initiation, arriver peu à peu à la connaissance de toutes choses et d’eux-mêmes. C’est là le bonheur réservé aux akkals (spirituels), et tous les Druses peuvent s’élever à ce rang par l’étude et par la vertu. Ceux, au contraire, qui ne font que suivre la loi sans prétendre à la sagesse s’appellent djahels, c’est-à-dire ignorants. Ils conservent toujours la chance de s’élever dans une autre vie et d’épurer leurs âmes trop attachées à la matière.

Quant aux chrétiens, juifs, mahométans et idolâtres, on comprend bien que leur position est fort inférieure. Cependant il faut dire, à la louange de la religion druse, que c’est la seule peut-être qui ne dévoue pas ses ennemis aux peines éternelles. Lorsque le Messie aura reparu, les Druses seront établis dans toutes les royautés, gouvernements et propriétés de la terre en raison de leurs mérites, et les autres peuples passeront à l’état de valets, d’esclaves et d’ouvriers ; enfin ce sera la plèbe vulgaire. Le cheik m’assurait à ce propos que les chrétiens ne seraient pas les plus maltraités. Espérons donc que les Druses seront bons maîtres.

Ces détails m’intéressaient tellement, que je voulus connaître enfin la vie de cet illustre Hakem, que les historiens ont peint comme un fou furieux, mi-parti de Néron et d’Héliogabale. Je comprenais bien qu’au point de vue des Druses, sa conduite devait s’expliquer d’une tout autre manière.

Le bon cheik ne se plaignait pas trop de mes visites fréquentes ; de plus, il savait que je pouvais lui être utile auprès du pacha d’Acre. Il a donc bien voulu me raconter, avec toute la pompe romanesque du génie arabe, cette histoire de Hakem, que je transcris telle à peu près qu’il me l’a dite. En Orient, tout devient conte. Il ne faut pas croire cependant que ceci fasse suite aux Mille et une Nuits. Les faits principaux de cette histoire sont fondés sur des traditions authentiques ; et je n’ai pas été fâché, après avoir observé et étudié le Caire moderne, de retrouver les souvenirs du Caire ancien, conservés en Syrie dans les familles exilées d’Égypte depuis huit cents ans.