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VOYAGE EN ORIENT.

jeu, une épreuve, et que la princesse avait voulu savoir si j’étais réellement aussi brave et aussi dévoué que je le prétendais. « Aie soin de te trouver demain au Caire vers le soir, à la fontaine des Amants, et un nouveau rendez-vous te sera assigné, » ajouta-t-il avant de rentrer dans le jardin.

Après tous ces éclaircissements, Hakem ne pouvait plus douter des circonstances qui avaient renversé ses projets. Il s’étonnait seulement de n’éprouver aucune colère soit de la trahison de sa sœur, soit de l’amour inspiré par un jeune homme de basse extraction à la sœur du calife. Était-ce qu’après tant d’exécutions sanglantes, il se trouvait las de punir, ou bien la conscience de sa divinité lui inspirait-elle cette immense affection paternelle qu’un dieu doit ressentir à l’égard des créatures ? Impitoyable pour le mal, il se sentait vaincu par les grâces toutes puissantes de la jeunesse et de l’amour. Sétalmule était-elle coupable d’avoir repoussé une alliance où ses préjugés voyaient un crime ? Yousouf l’était-il davantage d’avoir aimé une femme dont il ignorait la condition ? Aussi le calife se promettait d’apparaitre, le soir même, au nouveau rendez-vous qui était donné à Yousouf, mais pour pardonner et pour bénir ce mariage. Il ne provoquait plus que dans cette pensée les confidences de Yousouf. Quelque chose de sombre traversait encore son esprit ; mais c’était sa propre destinée qui l’inquiétait désormais.

— Les événements tournent contre moi, se dit-il, et ma volonté elle-même ne me défend plus.

Il dit à Yousouf en le quittant :

— Je regrette nos bonnes soirées de l’okel. Nous y retournerons, car le calife vient de retirer les ordonnances contre le hachich et les liqueurs fermentées. Nous nous reverrons bientôt, ami.

Hakem, rentré dans son palais, fit venir le chef de sa garde, Abou-Arous, qui faisait le service de nuit avec un corps de mille hommes, et rétablit la consigne interrompue pendant les jours de trouble, voulant que toutes les portes du Caire fussent