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VOYAGE EN ORIENT.

font retentir la campagne. Au centre, on reconnaît les maçons et tout ce qui travaille à la pierre : les maîtres en première ligne, puis les compagnons, et derrière eux les apprentis. À leur droite, et suivant la même hiérarchie, ce sont les charpentiers, les menuisiers, les scieurs, les équarrisseurs. À gauche, les fondeurs, les ciseleurs, les forgerons, les mineurs et tous ceux qui s’adonnent à l’industrie des métaux.

Ils sont plus de cent mille artisans, et ils approchent, tels que de hautes vagues qui envahissent un rivage… Troublé, Soliman recule de deux ou trois pas ; il se détourne et ne voit derrière lui que le faible et brillant cortège de ses prêtres et de ses courtisans.

Tranquille et serein, Adoniram est debout près des deux monarques. Il étend le bras ; tout s’arrête, et il s’incline humblement devant la reine, en disant :

— Vos ordres sont exécutés.

Peu s’en fallut qu’elle ne se prosternât devant cette puissance occulte et formidable, tant Adoniram lui apparut sublime dans sa force et dans sa simplicité.

Elle se remit cependant, et du geste salua la milice des corporations réunies. Puis, détachant de son cou un magnifique collier de perles où s’attachait un soleil en pierreries encadré d’un triangle d’or, ornement symbolique, elle parut l’offrir aux corps de métiers et s’avança vers Adoniram, qui, penché devant elle, sentit en frémissant ce don précieux tomber sur ses épaules et sa poitrine à demi nue.

À l’instant même, une immense acclamation répondit des profondeurs de la foule à l’acte généreux de la reine de Saba. Tandis que la tête de l’artiste était rapprochée du visage radieux et du sein palpitant de la princesse, elle lui dit à voix basse :

— Maître, veillez sur vous, et soyez prudent !

Adoniram leva sur elle ses grands yeux éblouis, et Balkis s’étonna de la douceur pénétrante de ce regard si fier.

— Quel est donc, se demandait Soliman rêveur, ce mortel qui soumet les hommes comme la reine commande aux habi-