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VOYAGE EN ORIENT.

qu’auparavant. Soudain, armés de leviers et de pics, dix fantômes se précipitent dans l’excavation pratiquée sous le foyer du fourneau et placée en regard du trône. Les soufflets râlent, expirent, et l’on n’entend plus que le bruit sourd des pointes de fer pénétrant dans la glaise calcinée qui lute l’orifice par où va s’élancer la fonte liquide. Bientôt l’endroit attaqué devient violet, s’empourpre, rougit, s’éclaire, prend une couleur orangée ; un point blanc se dessine au centre, et tous les manœuvres, sauf deux, se retirent. Ces derniers, sous la surveillance d’Adoniram, s’étudient à amincir la croûte autour du point lumineux, en évitant de le trouer… Le maître les observe avec anxiété.

Durant ces préparatifs, le compagnon fidèle d’Adoniram, ce jeune Benoni qui lui était dévoué, parcourait les groupes d’ouvriers, sondant le zèle de chacun, observant si les ordres étaient suivis, et jugeant tout par lui-même.

Et il advint que ce jeune homme, accourant, effaré, aux pieds de Soliman, se prosterna et dit :

— Seigneur, faites suspendre la coulée, tout est perdu, nous sommes trahis !

L’usage n’était point que l’on abordât ainsi le prince sans y être autorisé ; déjà les gardes s’approchaient de ce téméraire ; Soliman les fit éloigner, et, se penchant sur Benoni agenouillé, il lui dit à demi-voix :

— Explique-toi en peu de mots.

— Je faisais le tour du fourneau : derrière le mur, il y avait un homme immobile, et qui semblait attendre ; un second survint, qui dit à demi-voix au premier : Vehmamiah ! On lui répondit : Eliael ! Il en arriva un troisième qui prononça aussi : Vehmamiah ! et à qui l’on répliqua de même ; Eliael ! ensuite l’un s’écria :

» — Il a asservi les charpentiers aux mineurs.

» Le second : — Il a subordonné les maçons aux mineurs.

» Le troisième : — Il a voulu régner sur les mineurs.

» Le premier reprit : — Il donne sa force à des étrangers.