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VOYAGE EN ORIENT.

d’or strié de cristal et d’argent, jusqu’à un bassin creusé dans le sable, à l’issue duquel la fonte se disperse et suit son cours le long de plusieurs rigoles.

Soudain une lumière pourpre et sanglante illumine, sur les coteaux, les visages des spectateurs innombrables ; ces lueurs pénètrent l’obscurité des nuages et rougissent la crête des rochers lointains. Jérusalem, émergeant des ténèbres, semble la proie d’un incendie. Un silence profond donne à ce spectacle solennel le fantastique aspect d’un rêve.

Comme la coulée commençait, on entrevit une ombre qui voltigeait aux entours du lit que la fonte allait envahir. Un homme s’était élancé, et, en dépit des défenses d’Adoniram, il osait traverser ce canal destiné au feu. Comme il y posait le pied, le métal en fusion l’atteignit, le renversa, et il disparut en une seconde.

Adoniram ne voit que son œuvre ; bouleversé par l’idée d’une imminente explosion, il s’élance, au péril de sa vie, armé d’un crochet de fer ; il le plonge dans le sein de la victime, l’accroche, l’enlève, et, avec une vigueur surhumaine, la lance comme un bloc de scories sur la berge, où ce corps lumineux va s’éteindre en expirant… Il n’avait pas même eu le temps de reconnaître son compagnon, le fidèle Benoni.

Tandis que la fonte s’en va, ruisselante, remplir les cavités de la mer d’airain, dont le vaste contour déjà se trace comme un diadème d’or sur la terre assombrie, des nuées d’ouvriers portant de larges pots à feu, des poches profondes emmanchées de longues tiges de fer, les plongent tour à tour dans le bassin de feu liquide, et courent çà et là verser le métal dans les moules destinés aux lions, aux bœufs, aux palmes, aux chérubins aux figures géantes qui supportent la mer d’airain. On s’étonne de la quantité de feu qu’ils font boire à la terre ; couchés sur le sol, les bas-reliefs retracent les silhouettes claires et vermeilles des chevaux, des taureaux ailés, des cynocéphales, des chimères monstrueuses enfantées par le génie d’Adoniram.