Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
141
LES NUITS DU RAMAZAN.

ter. La race de Nemrod fut de nouveau dispersée. La voix de mon fils achèvera pour toi cette douloureuse histoire.

Adoniram chercha autour de lui le fils de Tubal-Kaïn d’un air inquiet.

— Tu ne le reverras point, repartit le prince des esprits du feu : l’âme de mon enfant est invisible, parce qu’il est mort après le déluge, et que sa forme corporelle appartient à la terre. Il en est ainsi de ses descendants, et ton père, Adoniram, est errant dans l’air enflammé que tu respires… Oui, ton père.

— Ton père, oui, ton père…, redit comme un écho, mais avec un accent tendre, une voix qui passa comme un baiser sur le front d’Adoniram.

Et, se retournant, l’artiste pleura.

— Console-toi, dit Tubal-Kaïn, il est plus heureux que moi. Il t’a laissé au berceau, et, comme ton corps n’appartient pas encore à ta terre, il jouit du bonheur d’en voir l’image. Mais sois attentif aux paroles de mon fils.

Alors, une voix parla :

— Seul parmi les génies mortels de notre race, j’ai vu le monde avant et après le déluge, et j’ai contemplé la face d’Adonaï. J’espérais la naissance d’un fils, et la froide bise de la terre vieillie oppressait ma poitrine. Une nuit, Dieu m’apparaît : sa face ne peut être décrite. Il me dit :

» — Espère !…

» Dépourvu d’expérience, isolé dans un monde inconnu, je répliquai timide :

» — Seigneur, je crains.

» Il reprit :

» — Cette crainte sera ton salut. Tu dois mourir ; ton nom sera ignoré de tes frères et sans écho dans les âges ; de toi va naître un fils que tu ne verras pas. De lui sortiront des êtres perdus parmi la foule comme les étoiles errantes à travers le firmament. Souche de géants, j’ai humilié ton corps ; tes descendants naîtront faibles ; leur vie sera courte ; l’isolement sera leur partage. L’âme des génies conservera dans leur sein sa