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VOYAGE EN ORIENT.

dénoncèrent, et l’autorité turque, quoique fort tolérante alors, dut faire exécuter la loi. Les consuls européens réclamèrent en sa faveur ; mais que faire contre un texte précis ? En Orient, la loi est à la fois civile et religieuse ; le Coran et le Code ne font qu’un. La justice turque est obligée de compter avec le fanatisme encore violent des classes inférieures. On offrit d’abord à Owaghim de le mettre en liberté moyennant une nouvelle abjuration. Il refusa. On fit plus : on lui donna les moyens de s’échapper. Chose étrange ! il refusa encore, disant qu’il ne pouvait vivre qu’à Constantinople ; qu’il mourrait de chagrin en la quittant encore, ou de honte en y demeurant au prix d’une nouvelle apostasie. Alors, l’exécution eut lieu. Beaucoup de gens de sa religion le considérèrent comme un saint et brûlèrent des bougies en son honneur.

Cette histoire nous avait vivement impressionnés. La fatalité y a introduit des circonstances telles, que rien ne pouvait faire qu’elle eût un autre dénoûment. Le soir même du troisième jour de l’exposition du corps à Balik-Bazar, trois juifs, selon l’usage, le chargeaient sur leurs épaules et le jetaient dans le Bosphore parmi les chiens et les chevaux noyés que la mer rejette çà et là contre les côtes.

Je ne veux point, d’après ce triste épisode dont j’ai eu le malheur d’être témoin, douter des tendances progressives de la Turquie nouvelle. Là, comme en Angleterre, la loi enchaîne toutes les volontés et tous les esprits jusqu’à ce qu’elle ait pu être mieux interprétée. La question de l’adultère et celle de l’apostasie peuvent seules aujourd’hui encore donner lieu à de si tristes événements.

Nous avons parcouru les bazars splendides qui forment le centre de Stamboul. C’est tout un labyrinthe solidement construit en pierre dans le goût byzantin et où l’on trouve un abri vaste contre la chaleur du jour. D’immenses galeries, les unes cintrées, les autres construites en ogives, avec des piliers sculptés et des colonnades, sont consacrées chacune à un genre particulier de marchandises. On admire surtout les vêtements