Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/176

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
164
VOYAGE EN ORIENT.

croire souillée d’une passion dégradante… Mais, redoutant les sourdes menées d’Adoniram, si puissant parmi le peuple, j’ai fait surveiller ce mystérieux personnage.

— Ainsi, vous supposez qu’il n’a point vu la reine ?

— Je suis persuadé qu’il l’a entretenue en secret. Elle est curieuse, enthousiaste des arts, ambitieuse de renommée, et tributaire de ma couronne. Son dessein est-il d’embaucher l’artiste, et de l’employer dans son pays à quelque magnifique entreprise, ou bien d’enrôler, par son entremise, une armée pour s’opposer à la mienne, afin de s’affranchir du tribut ? Je l’ignore… Pour ce qui est de leurs amours prétendues, n’ai-je pas la parole de la reine ? Cependant, j’en conviens, une seule de ces suppositions suffit à démontrer que cet homme est dangereux… J’aviserai…

Comme il parlait de ce ton ferme en présence de Sadoc, consterné de voir son autel dédaigné et son influence évanouie, les muets reparurent avec leurs coiffures blanches, de forme sphérique, leurs jaquettes d’écailles, leurs larges ceintures où pendaient un poignard et leur sabre recourbé. Ils échangèrent un signe avec Soliman, et Adoniram se montra sur le seuil. Six hommes, parmi les siens, l’avaient escorté jusque-là ; il leur glissa quelques mots à voix basse, et ils se retirèrent.


X — L’ENTREVUE


Adoniram s’avança d’un pas lent, et avec un visage assuré, jusqu’au siège massif où reposait le roi de Jérusalem. Après un salut respectueux, l’artiste attendit, suivant l’usage, que Soliman l’exhortât à parler.

— Enfin, maître, lui dit le prince, vous daignez, souscrivant à nos vœux, nous donner l’occasion de vous féliciter d’un triomphe… inespéré, et de vous témoigner notre gratitude. L’œuvre est digne de moi ; digne de vous, c’est plus encore. Quant à votre récompense, elle ne saurait être assez éclatante ; désignez-la vous-même : que souhaitez-vous de Soliman ?