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LES NUITS DU RAMAZAN.

— Le silence le plus profond, mon père ; je ne me fie désormais qu’à moi seul. Sachez-le bien, je suis le roi. Obéir sous peine de disgrâce et se taire sous peine de la vie, voilà votre lot… Allons, vieillard, ne tremble pas : le souverain qui te livre ses secrets pour t’instruire est un ami. Fais appeler ces trois ouvriers enfermés dans le temple ; je veux les questionner encore.

Amrou et Phanor comparurent avec Méthousaël : derrière eux se rangèrent les sinistres muets, le sabre à la main.

— J’ai pesé vos paroles, dit Soliman d’un ton sévère, et j’ai vu Adoniram, mon serviteur. Est-ce l’équité, est-ce l’envie qui vous anime contre lui ? Comment de simples compagnons osent-ils juger leur maître ? Si vous étiez des hommes notables et des chefs parmi vos frères, votre témoignage serait moins suspect… Mais non : avides, ambitieux du titre de maître, vous n’avez pu l’obtenir, et le ressentiment aigrit vos cœurs.

— Seigneur, dit Méthousaël en se prosternant, vous voulez nous éprouver. Mais, dût-il m’en coûter la vie, je soutiendrai qu’Adoniram est un traître ; en conspirant sa perte, j’ai voulu sauver Jérusalem de la tyrannie d’un perfide qui prétendait asservir mon pays à des hordes étrangères. Ma franchise imprudente est la plus sûre garantie de ma fidélité.

— Il ne me sied point d’ajouter foi à des hommes méprisables, aux esclaves de mes serviteurs. La mort a créé des vacances dans le corps des maîtrises : Adoniram demande à se reposer, et je tiens, comme lui, à trouver parmi les chefs des gens dignes de ma confiance. Ce soir, après la paye, sollicitez près de lui l’initiation des maîtres ; il sera seul… Sachez faire entendre vos raisons. Par là, je connaîtrai que vous êtes laborieux, éminents dans votre art et bien placés dans l’estime de vos frères. Adoniram est éclairé : ses décisions font loi. Dieu l’a-t-il abandonné jusqu’ici ? a-t-il signalé sa réprobation par un de ces avertissements sinistres, par un de ces coups terribles dont son bras invisible sait atteindre les coupables ? Eh