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LES NUITS DU RAMAZAN.

blanche, et, le soulevant dans leurs bras, ils descendirent sans bruit au bord du Cédron, se dirigeant vers un tertre solitaire situé au delà du chemin de Béthanie. Comme ils y arrivaient, troublés et le frisson dans le cœur, ils se virent tout à coup en présence d’une escorte de cavaliers. Le crime est craintif, ils s’arrêtèrent ; les gens qui fuient sont timides… et c’est alors que la reine de Saba passa en silence devant des assassins épouvantés qui traînaient les restes de son époux Adoniram.

Ceux-ci allèrent plus loin et creusèrent un trou dans la terre qui recouvrit le corps de l’artiste. Après quoi, Médiousaël, arrachant une jeune tige d’acacia, la planta dans le sol fraîchement labouré sous lequel reposait la victime.

Pendant ce temps-là, Balkis fuyait à travers les vallées ; la foudre déchirait les cieux, et Soliman dormait.

Sa plaie était plus cruelle, car il devait se réveiller.

Le soleil avait accompli le tour du monde, lorsque l’effet léthargique du philtre qu’il avait bu se dissipa. Tourmenté par des songes pénibles, il se débattait contre des visions, et ce fut par une secousse violente qu’il rentra dans le domaine de la vie.

Il se soulève et s’étonne ; ses yeux errants semblent à la recherche de la raison de leur maître ; enfin il se souvient…

La coupe vide est devant lui ; les derniers mots de la reine se retracent à sa pensée : il ne la voit plus et se trouble ; un rayon de soleil qui voltige ironiquement sur son front le fait tressaillir ; il devine tout et jette un cri de fureur.

C’est en vain qu’il s’informe : personne ne l’a vue sortir, et sa suite a disparu dans la plaine ; on n’a retrouvé que les traces de son camp.

— Voilà donc, s’écrie Soliman en jetant sur le grand prêtre Sadoc un regard irrité, voilà le secours que ton Dieu prête à ses serviteurs ! Est-ce là ce qu’il m’avait promis ? Il me livre comme un jouet aux esprits de l’abîme, et toi, ministre imbécile, qui règnes sous son nom par mon impuissance, tu m’as abandonné, sans rien prévoir, sans rien empêcher ! Qui me