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VOYAGE EN ORIENT.

proportions. Tel était ce musée, le plus complet sans doute qu’on eût jamais rassemblé, exposé dans une galerie de bois, sous la protection de deux militaires, et devant lequel la foule s’extasiait du matin au soir.

Dans les bazar des épiées, toutes les boutiques des droguistes et des marchands de couleurs sont décorées de tableaux semblables, qui servent probablement d’enseignes, et dont plusieurs, exécutés dans le goût turc, sont dus pourtant à des peintres anglais. L’Angleterre ne néglige rien et fait concurrence même à ces pauvres artistes turcs.

Voyons maintenant ces derniers dans leur intérieur. Ils joignent, en général, à cette industrie celle de papetier, et occupent de petites boutiques situées la plupart sur la place du Séraskier, le long de laquelle règne une galerie où l’on circule à l’ombre. Les Turcs viennent dans ces boutiques faire peindre, à défaut de leur portrait, leur chiffre accompagné d’attributs relatifs à leur profession, ou demandent le dessin d’une mosquée qui leur plaît particulièrement. Un de mes amis, le peintre Camille Rogier, qu’un séjour de trois ans a familiarisé avec le turc, s’approche un jour d’un de ces artistes, qui, les jambes croisées sur l’estrade de sa boutique, dessinait pour un soldat la mosquée du sultan Bayézid, située à l’autre bout de la place. Le peintre français s’aperçut que son confrère peignait en rouge le minaret de la mosquée, qui se trouve blanc dans la nature, et crut devoir, le conseiller. « Péki ! Péki ! (très-bien ! très-bien !) lui dit-il, vous dessinez à merveille ; mais pourquoi faites-vous le minaret rouge ? — Désirez-vous un dessin où le minaret soit bleu ? lui répondit le Turc. — Non ; mais pourquoi ne pas le faire comme il est ? — Parce que ce soldat aime le rouge et me l’a demandé de cette couleur ; chacun a une couleur favorite, et, moi, je cherche à satisfaire tous les goûts. »

Le choix des couleurs tient encore, en effet, à la superstition des Turcs au point que la nuance des maisons fait reconnaître la secte à laquelle appartient chaque propriétaire. Les vrais