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VOYAGE EN ORIENT.

vîmes que quelques jongleurs, des bouffons, qui s’efforçaient de réunir autour d’eux un petit cercle de spectateurs. Mais bientôt la foule s’accrut graduellement, car il s’agissait d’un spectacle remarquable, qui attire chaque année, à pareil jour, une multitude toujours émerveillée. Ce spectacle est appelé la dossah (la marche). Et voici en quoi il consiste :

Le cheik de la Saadyeh-Derviche (le saïd Mohammed El-Meuzela), qui est khutib (ou prédicateur) de la mosquée de Hasanieh, après avoir, dit-on, passé une partie de la nuit précédente dans la solitude, à répéter certaines prières, certaines invocations secrètes et des passages du Coran, reparait à la mosquée nommée ci-dessus, le vendredi, jour qui précède la nuit de la Mouled, pour accomplir le devoir accoutumé de la dossah. Les prières de la matinée et la prédication étant terminées, il quitte la mosquée pour se rendre à cheval à la maison du cheik-el-bekry, chef de tous les ordres de derviches en Égypte. Cette maison est au sud de la place de l’Esbékieh, et attenante à celle qui est située à l’angle sud-ouest. Dans le trajet, il est joint successivement par une foule de derviches de différents districts de la métropole. Le cheik est un vieillard à tête blanche, d’une belle stature, et dont la physionomie est aimable et intelligente.

Le jour dont nous parlons, il portait un bénieh blanc et un skaouk blanc aussi (un bonnet ouaté recouvert de drap). Son turban de mousseline était d’un vert-olive si foncé, qu’à peine pouvait-on le distinguer du noir, et un bandeau de mousseline blanche lui traversait obliquement le front. Le cheval qu’il montait était de taille moyenne et d’un poids ordinaire. On verra pour quelle raison cette dernière remarque était à faire.

Le cheik entra dans le Birket-el-Esbekieh, précédé par une nombreuse procession des derviches dont il est le chef. A peu de distance de la maison du cheik-el-bekry, la procession s’arrêta ; alors vint un nombre considérable de derviches et autres. Nous ne pûmes les compter, mais ils étaient certainement plus de soixante ; ils s’étendirent à plat ventre sur