Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/312

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
300
VOYAGE EN ORIENT.

cette occasion, est de manger des serpents tout vifs devant une assemblée choisie dans la maison même de cheik-el-bekry ; mais le cheik actuel a dernièrement mis opposition à cette coutume dans la métropole, en déclarant que c’était une pratique dégoûtante et contraire à la religion, qui range les reptiles dans la classe des animaux qu’on ne doit pas manger. Cependant, nous vîmes plus d’une fois les saadis manger des serpents et des scorpions pendant notre première excursion dans cette contrée. Il faut ajouter qu’on arrachait celles des dents du serpent qui contiennent le poison, et que l’animal devenait incapable de mordre, attendu qu’on lui perçait les deux lèvres et qu’on y passait un cordon de soie pour les lier ensemble, lequel cordon de soie était remplacé par deux anneaux d’argent lorsqu’on le menait en procession.

Quand un saadi mangeait la chair d’un serpent vivant, il était ou affectait d’être excité par une sorte de frénésie. Il appuyait fortement le bout de son doigt sur le dos du reptile, en le saisissant à peu près à deux pouces de la tête, et ne mangeait que jusqu’à l’endroit où il avait appuyé ; ce dont il faisait trois ou quatre bouchées. Le reste du corps, il le jetait.

Cependant, les serpents ne sont pas toujours maniés sans danger, même par des saadis. On nous raconta qu’il y a quelques années, un derviche de cette secte, qu’on appelait El-Fil, ou Éléphant, à cause de sa corpulence et de sa force musculaire, et qui était le plus fameux mangeur de serpents de son temps, et même de tous les temps, ayant eu le désir d’apprivoiser un serpent d’une espèce très-venimeuse qu’on lui avait apporté du désert, il mit ce reptile dans un panier, et l’y garda plusieurs jours pour l’affaiblir ; après quoi, voulant le prendre pour lui extraire les dents, il enfonça la main dans le panier, et se sentit mordu au pouce. Il appela à son secours ; mais, comme il n’y avait dans la maison qu’une femme, qui fut trop effrayée pour venir à lui, il s’écoula quelques minutes avant qu’il pût obtenir assistance, et, lorsqu’on vint, tout