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DE PARIS À CYTHÈRE.

— La poste ?

— Oui, la poste.

— Ah ! très-bien.

Je n’ai plus qu’à me promener toute la journée. J’admire l’aspect de l’auberge, bâtiment en briques, à coins de pierre du temps de Louis XIII. Je visite le village, composé d’une seule rue encombrée de bestiaux, d’enfants et de villageois avinés : — c’était un dimanche ; — et je reviens en suivant le cours de l’Ain, rivière d’un bleu magnifique, dont le cours rapide fait tourner une foule de moulins.

À dix heures du soir, le courrier arrive. Pendant qu’il soupe, on me conduit, pour marquer ma place, dans la remise où était sa voiture.

Ô surprise ! c’était un panier.

Oui, un simple panier suspendu sur un vieux train de voiture, excellent pour contenir les paquets et les lettres ; mais le voyageur y passait à l’état de simple colis.

Une jeune dame en deuil et en larmes arrivait de Grenoble par ce véhicule incroyable ; je dus prendre place à ses côtés.

L’impossibilité de se faire une position fixe parmi les paquets confondait forcément nos destinées : la dame finit par faire trêve à ses larmes, qui avaient pour cause un oncle décédé à Grenoble. Elle retournait à Ferney, pays de sa famille.

Nous causâmes beaucoup de Voltaire. Nous allions doucement, à cause des montées et des descentes continuelles. Le courrier, trop dédaigneux de sa voiture pour y prendre place lui-même, fouettait d’en bas le cheval, qui frisait de temps en temps la crête des précipices.

Le Rhône coulait à notre droite, à quelques centaines de pieds au-dessous de la route ; des postes de douaniers se montraient çà et là dans les rochers, car de l’autre côté du fleuve est la frontière de Savoie.

De temps en temps, nous nous arrêtions un instant dans de petites villes, dans des villages où l’on n’entendait que les cris