Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/359

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
347
DE PARIS À CYTHÈRE.

et dont une partie jouit de la vue du port, est toutefois la plus commerçante et la plus animée. Du reste, Genève, comme toutes les villes du Midi, n’est pavée que de cailloux. Le bitume commence à s’y montrer de loin en loin ; et, en effet, dans les pays si nombreux où le grès manque, le bitume dont Paris s’est lassé si vite, a toujours un bel avenir. De longs passages sombres, à l’antique, établissent des communications entre les rues. Les fabriques qui couvrent le fond du lac et la source du Rhône donnent aussi une physionomie originale à la ville.

Te parlerai-je encore du quartier neuf, situé de l’autre côté du Rhône, et tout bâti dans le goût de la rue de Rivoli ; du palais du philanthrope Eynard, dont tu connais les innombrables portraits lithographiés, qui se vendaient jadis au profit des Grecs et des noirs ? Mais il vaut mieux s’arrêter au milieu du pont, sur un terre-plein planté d’arbres, où se trouve la statue de Jean-Jacques Rousseau. Le grand homme est là, drapé en Romain, dans la position d’Henri iv sur le pont Neuf ; seulement, Rousseau est à pied, comme il convient à un philosophe. Il suit des yeux le cours du Rhône, qui sort du lac, si beau, si clair, si rapide déjà, — et si bleu, que l’empereur Alexandre y retrouvait un souvenir de la Néva, bleue aussi comme la mer !

L’extrémité du lac Léman, tout emboîtée dans les quais de la ville, est couverte en partie de ces laides cabanes qui servent de moulins à eau ou de buanderies, ce qui offre un spectacle plus varié qu’imposant. Au contraire, lorsqu’on tourne le dos à la ville pour se diriger vers Lausanne, lorsque le bateau à vapeur sort du port encombré de petits navires, le coup d’œil présente tout à fait l’illusion de la grande mer. Jamais pourtant on ne perd entièrement de vue les deux rives, mais la ligne du fond tranche nettement l’horizon de sa lame d’azur ; des voiles blanches se balancent au loin, et les rives s’effacent sous une teinte violette, tandis que les palais et les villas éclatent par intervalles au soleil levant ; c’est l’image affaiblie de ces riants détroits du golfe de Naples, que l’on suit si longtemps avant d’aborder. D’ailleurs, pourquoi te décrirais-je encore ce lac il-