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DE PARIS À CYTHÈRE.

ses murailles et n’a pas même un ruisseau. Sa cathédrale est fort belle ; les rues sont charmantes avec leurs grandes maisons peintes à fresque du haut en bas. Il y a là des Michel-Ange et des Caravage ignorés, que la pluie dégrade tous les jours ; ce sont des galeries sans fin d’immenses tableaux sacrés ou profanes, trouées par les portes et les fenêtres, et dont la vue réjouit l’œil du passant ; le plus grand nombre de ces peintures appartient au style rococo des deux derniers siècles ; elles sont relevées souvent de sculptures et de dorures fort éclatantes. Dans la plus longue rue, qui est presque une longue place, on rencontre l’hôtel de ville, où l’on fait voir aux étrangers la célèbre chambre dorée, toute éclatante d’or et de bois sculpté, et éclairée d’un nombre infini de fenêtres. Une grande fontaine de marbre et de bronze, dans le style de la renaissance, orne la place voisine de ce palais ; c’est une des plus riches et des plus élégantes que j’aie vues, et c’est de quoi faire honte aux groupes de naïades et de tritons en fonte dont on décore économiquement nos places de Paris.

Après avoir admiré toutes ces beautés et rendu visite même aux bureaux de la Gazette d’Augsbourg, le premier des journaux de l’Allemagne, je voulus compléter ma soirée par le spectacle. Il y avait deux affiches à tous les coins de rue : l’une annonçait Preciosa, opéra de Weber, et l’autre la représentation du Docteur Faust au théâtre des Marionnettes, J’eus la malheureuse idée de négliger cette occasion de voir le drame naïf et enfantin qui inspira à Gœthe son chef-d’œuvre éternel, et j’allai prendre une stalle au grand Opéra du lieu. — On jouait d’abord un acte traduit d’un vaudeville français. C’est ce qui commence le spectacle dans toute l’Allemagne. Ensuite, une première cantatrice de Vienne devait se faire entendre dans l’entr’acte ; en effet, le vaudeville terminé, voilà que la porte du fond s’ouvre, et il paraît une énorme femme vêtue de noir. Elle chante un couplet avec une voix de basse superbe. Serait-ce un homme déguisé ? Point du tout : elle entonna le second couplet avec un soprano plus aigu que celui de Déjazet.