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DE PARIS À CYTHÈRE.

goût ; c’est là une remarque plus importante qu’on ne croit en pays étranger. On ne sait pas assez que la moitié de l’Europe est privée de biftecks et de côtelettes passables, et que le veau domine dans certaines contrées avec une déplorable uniformité. Songez-vous, Parisiens ! que l’Espagne et l’Italie manquent de beurre absolument. Peut-être n’as-tu jamais fait grande attention à l’humble ingrédient du beurre. Eh bien, quand le bateau à vapeur qui vient de Naples touche à Nice, la première idée des passagers est de courir au café royal, sur la grande place, et d’y déjeuner avidement avec du beurre et du lait. Du lait ! et sais-tu comment les dames italiennes font leur café du matin ? Ces infortunées délayent des blancs d’œuf dans du café, faute de lait, et elles boivent ce mélange. Voilà ce qu’on ne sait pas !

Munich manque d’huîtres et de poissons de mer, naturellement ; ses vins sont médiocres et chers ; mais elle vante sa bière, qui, en effet, a une grande réputation dans toute l’Allemagne. Il ne faut pas parler de la bière de Munich à des voyageurs qui ont bu des bières belges et anglaises. Le faro, l’ale et la lambic sont des bières dont on n’a pas l’idée même à Paris ; ce sont de véritables vins du Nord, qui égayent et grisent plus vite que le vin lui-même. Les bières impériales et royales d’Autriche et de Bavière n’ont aucun rapport avec ces nobles boissons. Aussi disputent-elles au tabac le privilége d’engourdir et d’assoupir de plus en plus ce grand corps du peuple allemand.

Tu me pardonneras ce hors-d’œuvre culinaire, qui n’est pas hors de propos ; car les voyageurs ont faim comme les héros, et la nourriture est une impression de voyage incontestable. Les deux cafés de la Galerie royale ne sont pas fort brillants et n’ont aucun journal français. Un vaste cabinet de lecture et une sorte de casino, qu’on appelle le Musée, contiennent, en revanche, la plupart des feuilles françaises que la censure laisse entrer librement. De temps en temps, il est vrai, quelque numéro manque, et les abonnés lisent à la place cet avis : que le journal a été saisi à Paris, à la poste et dans les bureaux. Cela