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DE PARIS À CYTHÈRE.

m’étais pas attendu à obtenir un cœur tout neuf.) Eh bien, cela suffit, je le sais, je suis content, je prendrai garde à ne pas la compromettre.

— Mais non, a répliqué la jeune ouvrière (je t’arrange un peu tout ce dialogue ou plutôt je le resserre), c’est ma maîtresse qui s’est fâchée parce que le jeune homme est venu hier soir chercher la Catarina, qui lui avait dit que sa maîtresse la devait garder jusqu’au soir ; il ne l’a pas trouvée, puisqu’elle était avec vous, et ils ont parlé très-longtemps ensemble.

Maintenant, mon ami, voilà où j’en suis : je comptais la conduire au spectacle ce soir, puis à la Conversation, où l’on joue de la musique et où l’on chante, et je suis seul à six heures et demie, buvant un verre de rosolio dans le gasthoff, en attendant l’ouverture du théâtre. Mais la pauvre Catarina ! Je ne la verrai que demain, je l’attendrai dans la rue où elle passe pour aller chez sa maîtresse, et je saurai tout !

Le 23. — Je m’aperçois que je ne t’avais pas encore parlé de la ville. Il fallait bien cependant un peu de mise en scène à mes aventures romanesques, car tu n’es pas au bout. Aussi, je voudrais bien t’écrire une lettre sur Vienne ; mais j’ai tant tardé à le faire, que je ne sais plus que t’apprendre, ni comment t’intéresser ; ce travail m’eût été facile aussitôt après mon arrivée, parce que tout m’étonnait encore, tout m’était nouveau, les costumes, les mœurs, le langage, l’aspect de cette grande ville, située presque à l’extrémité de l’Europe civilisée, riche et fière comme Paris, et qui ne lui emprunte ni toutes ses modes, ni tous ses plaisirs ; ces contrastes, dis-je, me saisissaient vivement, et j’étais en état de les rendre avec chaleur et poésie. Aujourd’hui, je suis trop familiarisé avec toutes ces nouveautés ; me voilà aussi embarrassé qu’un Parisien auquel on demanderait une description de Paris ; je suis devenu tout à fait un badaud de Vienne, vivant de ses habitudes sans y plus songer, et contraint de faire un effort pour trouver en quoi elles diffèrent des nôtres. Il est vrai qu’ayant pénétré davantage dans la société, il me faudra maintenant beaucoup des-