Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/402

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
390
DE PARIS À CYTHÈRE.

buffet chargé de viandes, de pâtisseries et de sucreries, et où fument continuellement le würschell, ce mets favori du Viennois. D’alertes servantes distribuent les plats de table en table, pendant que les garçons font le service plus fatigant de la bière et du vin. Chacun soupe ainsi, se servant pour pain de gâteaux anisés ou glacés de sel, qui excitent beaucoup à boire. Maintenant, ne nous arrêtons pas dans cette première salle, qui sert à la fois d’office à l’hôtelier et de coulisse aux acteurs. On y rencontre seulement des danseuses qui se chaussent, des jeunes premières qui mettent leur rouge, des soldats qui s’habillent en figurants ; là est le vestiaire des valseurs, le refuge des chiens ennemis de la musique et de la danse, et le lieu de repos des marchands juifs, qui s’en vont, dans l’intervalle des pièces, des valses ou des chants, offrir leurs parfumeries, leurs fruits d’Orient, ou les innombrables billets de la grande loterie de Miedling.

Il faut monter plusieurs marches et percer la foule pour pénétrer enfin dans la pièce principale : c’est comme d’ordinaire une galerie régulièrement voûtée et close partout ; les tables serrées règnent le long des murs, mais le centre est libre pour la danse. La décoration est une peinture en rocaille ; et, au fond, derrière les musiciens et les acteurs, une sorte de berceau de pampres et de treillages. Quant à la société, elle est fort mélangée, comme nous dirions ; rien d’ignoble pourtant ; car les costumes sont plutôt sauvages que pauvres. Les Hongrois portent la plupart leur habit semi-militaire, avec ses galons de soie éclatante et ses gros boutons d’argent ; les paysans bohèmes ont de longs manteaux blancs et de petits chapeaux ronds couronnés de rubans ou de fleurs. Les Styriens sont remarquables par leurs chapeaux verts ornés de plumes et leurs costumes de chasseurs du Tyrol ; les Serbes et les Turcs se mêlent plus rarement à cette assemblée bizarre de tant de nations qui composent l’Autriche, et parmi lesquelles la vraie population autrichienne est peut-être la moins nombreuse.

Quant aux femmes, à part quelques Hongroises, dont le cos-