Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/418

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
406
DE PARIS À CYTHÈRE.

ses goûts d’artiste, ses prétentions d’esprit, ses amourettes folles, et ses mille caprices qui choquent toutes les idées reçues, vous savez, mon oncle, que je m’en préoccupe fort peu. Cependant, j’avouerai qu’il ne m’est jamais agréable de me rencontrer avec un pareil étourdi dans les hautes sociétés où m’appelle ma position.

 » Ce n’est point encore là le cas, nous ne sommes encore qu’à une table d’hôte de Munich. Je ne sais pourquoi, d’ailleurs, je ne m’étais point fait servir dans mon appartement, ce qui m’aurait épargné cette rencontre. Chaque fois qu’on n’agit pas en homme très comme il faut, on peut être sûr d’avoir à s’en repentir ; C’est un de vos principes que je n’oublierai plus. Enfin, voilà la conversation qui s’établit de loin entre nous deux ; vous pensez bien que je ne répondais que par monosyllabes. La table n’était garnie que d’Anglais et d’Allemands, mais on nous comprenait très-bien. Il me plaisante avec l’esprit que vous lui connaissez sur ma nouvelle position diplomatique, me demande si j’apporte la guerre ou la paix, et autres folies. Je lui fais signe qu’il n’est pas prudent de parler ainsi ; et, en effet, j’ai appris ensuite qu’il y avait à cette même table un espion prussien et un espion anglais ; moi-même, je passais pour un espion français, malgré mon titre d’attaché. Les Allemands ignorent ou ne veulent pas croire que notre gouvernement n’use pas de pareils moyens et que nous n’employons jamais qu’une politique loyale ou constitutionnelle.

 » J’ai fini par me lever, je l’ai pris à part, et je lui ai fait comprendre tout ce que sa conduite avait d’indiscret à mon égard. « Nous ne sommes plus de jeunes fous, » lui ai-je dit ; « la confiance du gouvernement m’a créé un titre et des devoirs nouveaux. La chaise de poste qui me transporte à Vienne est peut-être chargée des destinées d’un grand pays… — Tu es en chaise de poste ? » m’a dit aussitôt mon cousin. Je ne voyage pas autrement. — C’est fort commode, en effet, quand on n’aime pas aller à pied. Moi, je voyage à pied quand le pays est beau. — Bien du plaisir. — Par exemple, ce