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DE PARIS À CYTHÈRE.

plaisance à décrire mes amours de rencontre, mais ce n’était que comme étude de mœurs lointaines ; il s’agissait de femmes qui ne parlent à peu près aucune langue européenne… et, pour ce que j’aurais à dire encore, je me suis rappelé à temps le vers de Klopstock : « Ici, la discrétion me fait signe de son doigt d’airain. »

P.-S. — Ne sois pas trop sévère pour cette correspondance à bâtons rompus… À Vienne, cet hiver, j’ai continuellement vécu dans un rêve. Est-ce déjà la douce atmosphère de l’Orient qui agit sur ma tête et sur mon cœur ? — Je n’en sais pourtant ici qu’à moitié chemin.


XI — L’ADRIATIQUE


Quelle catastrophe, mon ami ! Comment te dire tout ce qui m’est arrivé, ou plutôt comment oser désormais livrer une lettre confidentielle à la poste impériale ! Songe bien que je suis encore sur le territoire de l’Autriche, c’est-à-dire sur des planches qui en dépendent, — le pont du Francesco-Primo, vaisseau du Lloyd autrichien. Je t’écris en vue de Trieste, ville assez maussade, située sur une langue de terre qui s’avance dans l’Adriatique, avec ses grandes rues qui la coupent à angles droits et où souffle un vent continuel. Il y a de beaux paysages, sans doute, dans les montagnes sombres qui creusent l’horizon ; mais tu peux en lire d’admirables descriptions dans Jean Sbogar et dans Mademoiselle de Marsan, de Charles Nodier ; il est inutile de les recommencer. Quant à mon voyage de Vienne ici, je l’ai fait en chemin de fer, sauf une vingtaine de lieues dans les gorges de montagnes couvertes de sapins poudrés de frimas… Il faisait très-froid. Cela n’était pas gai, mais c’était en rapport avec mes sentiments intérieurs. Contente-toi de cet aveu.

Tu me demanderas pourquoi je ne me rends pas en Orient par le Danube, comme c’était d’abord mon intention. Je t’ap-