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VOYAGE EN ORIENT.

Son air impassible me rassura quelque peu.

— Écoutons, dit-il.

On montait l’escalier, et un bruit de voix confuses s’entendait déjà dans les premières pièces, où se trouvaient les matrones. Un officier de police entra seul dans le salon, et j’entendis le mot Franguis que l’on prononçait en nous désignant ; il voulut encore passer dans la salle de jeu, où ceux des joueurs qui ne s’étaient pas échappés continuaient leur partie avec calme.

C’était simplement une patrouille de cavas (gendarmes) qui cherchait à savoir s’il n’y avait pas de Turcs ou d’élèves des écoles militaires dans la maison. Il est clair que ceux qui s’étaient enfuis appartenaient à quelqu’une de ces catégories. Mais la patrouille avait fait trop de bruit en entrant pour qu’on ne pût pas supposer qu’elle était payée pour ne rien voir et pour n’avoir à signaler aucune contravention. Cela se passe ainsi, du reste, dans beaucoup de pays.

L’heure du souper était arrivée. Les joueurs heureux ou malheureux, se réconciliant après la lutte, entourèrent une table servie à l’européenne. Seulement, les femmes ne parurent pas à cette réunion devenue cordiale, et s’allèrent placer sur une estrade. Un orchestre établi à l’autre bout de la salle se faisait entendre pendant le repas, selon l’usage oriental.

Ce mélange de civilisation et de traditions byzantines n’est pas le moindre attrait de ces nuits joyeuses qu’à créées le contact actuel de l’Europe et de l’Asie, dont Constantinople est le centre éclatant, et que rend possible la tolérance des Turcs. Il se trouvait réellement que nous n’assistions là qu’à une fête aussi innocente que les soirées des cafés de Marseille. Les jeunes filles qui concouraient à l’éclat de cette réunion étaient engagées, moyennant quelques piastres, pour donner aux étrangers une idée des beautés locales. Mais rien ne laissait penser qu’elles eussent été convoquées dans un autre but que celui de paraître

    reux écuyers faillit en être victime. Ils furent sauvés par un batelier de Kourouchesmé qui se trouvait par hasard près du palais.