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lorely.

pect en est assez triste, puis on s’y accoutume, et l’on découvre des points de vue charmants à certaines heures du jour. Les quais de Pille surtout en fournissent de fort agréables. L’Ille, avec ses eaux vertes et calmes, embarrassées partout de ponts, de moulins, de charpentes soutenant des maisons qui surplombent, ressemble, dans les beaux jours d’été, à cette partie du Tibre qui traverse les plus pauvres quartiers de Rome. Le faubourg de Saverne fait surtout l’effet du quartier des Transtevères. Pour si haute que soit ma comparaison, je sais qu’elle n’est pas à l’éloge de l’administration municipale ; mais, pourquoi le cacher ? Strasbourg est une ville mal tenue ; elle a, dans ce sens même, un parfum de moyen âge beaucoup trop prononcé. Le marché à la viande, qui se recommandait jadis à la plume de Théophile Gautier, a été reconstruit et assaini depuis quelques années ; mais on rencontre encore, derrière, de vastes espaces pleins de mares et de gravois, où les animaux indépendants trouvent à vivre sans rien faire. Près de là, il y a toute une rue de juifs, comme au moyen âge ; puis les plus infâmes complications de ruelles, de passages, d’impasses, serpentent, fourmillent, croupissent, dans l’espace contenu entre la place d’Armes et le quai des Tanneurs, qui est une rue. Du reste, en accusant la ville de sa négligence à l’égard de tout ce quartier, nous devons dire qu’elle apporte des soins particuliers à l’embellissement des rues qui avoisinent la résidence des autorités : la place d’Armes est fort belle, et l’on s’y promène entre deux allées d’orangers. La rue Brûlée, où siège le gouvernement, ne manque que de largeur, et la rue du Dôme est devenue la rue Vivienne de Strasbourg ; à l’heure qu’il est, on l’a pavée en asphalte, et ses trottoirs, déjà terminés, portent partout la signature ineffaçable de la société Lobsann. Le bitume envahit peu à peu Strasbourg, et ce n’est pas malheureux, vu l’imperfection du pavage actuel ; dans une ville pavée en cailloux, le bitume est roi. Toutefois, les dames prétendent ici que la boue qu’on emporte d’un pavé de bitume tache les vêtements d’une manière indélébile ; en revanche,