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lorely.

flambeau, et l’hôte avec les pantoufles, que je n’avais pas voulu chausser devant tout le monde, m’accompagnèrent, par un escalier tortueux, dont ces gens paraissaient honteux, à une chambre, la plus belle de la maison, qui était à la fois la chambre nuptiale et celle des enfants ; on avait déplacé à la hâte ces malheureux petits, traîné leurs lits dans le corridor, et rassemblé dans la chambre, ainsi débarrassée, toutes les richesses de la famille : deux miroirs, des flambeaux de plaqué, une timbale, une gravure de Napoléon, un petit Jésus en cire orné de clinquant sous un verre, des pots de fleurs, une table à ouvrage, et un châle rouge pour parer le lit.

Voyant tout ce remue-ménage, je pris décidément mon parti, je me confiai à Dieu et à la fortune, et je dormis profondément dans ce lit qui était fort dur et d’une propreté médiocre sous toutes ces magnificences.

Le lendemain, je demandai mon compte sans oser déjeuner. On m’apporta une carte fort bien rédigée par articles, dont le total était de deux florins (près de deux francs cinquante centimes). L’hôte fut bien étonné quand je tirai ma bourse, ou plutôt mes vingt kreutzers. Je ne voulus pas discuter, et les offris au garçon pour m’accompagner jusqu’à Bade. Là, grâce à mon bagage, l’hôte du Soleil prit assez de confiance en moi pour acquitter ma dette, et, huit jours après, ayant vécu fort bien chez ce brave homme, toujours sur la foi du même bagage, je reçus enfin de Francfort tout l’argent de la lettre de change, cette fois par les packwagan (messageries), et en beaux frédérics d’or collés sur une carte avec de la cire. Ceci me parut valoir beaucoup mieux que le papier de commerce qui m’avait été adressé d’abord, et mon hôte fut du même avis.


IV — LA MAISON DE CONVERSATION


Ne va-ton pas me dire, comme Alphonse Royer, que je trahis mon compagnon de route, et que je tends à lui couper l’impression de voyage sous le pied ! Dieu merci, je n’ai pas