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lorely.

aurons-nous des parades, des revues, des messes solennelles ? C’est de quoi il est bon de s’informer.

En effet, la ville fait grandement les choses : à dix heures, grand’messe et Te Deum, tant à Bade qu’à Lichtenthal ; à midi, revue, parade, marches militaires ; le soir, une pièce féerie au Théâtre-Allemand, composée en l’honneur du grand-duc de Bade. Toute la journée, des coups de canon de quart d’heure en quart d’heure ; mais, la ville ne possédant aucun canon, nous soupçonnons qu’on a recours à tout autre procédé pour obtenir ces détonations qui se multiplient le long des montagnes.

La route de Lichtenthal se couvre d’équipages, de promeneurs, de cavaliers ; c’est tout le mouvement, tout le luxe, tout l’éclat d’une promenade parisienne. Lichthenthal est le Longchamps de Bade. Lichtenthal (vallée de lumière) est un couvent de religieuses augustines qui chantent admirablement : leurs prières sont des cantates, leurs messes sont des opéras. La vallée de lumière n’est point une vallée de larmes : les religieuses n’y font des vœux que pour trois ans. Cette retraite romanesque, cette chartreuse riante, est, dit-on, l’hospice des cœurs souffrants. On y vient guérir des grands amours ; on y passe un bail de trois, six, neuf avec la douleur : mais qui sait combien de temps le traitement peut survivre à la guérison !

En vérité, c’est bien là un cloître d’héroïnes de petits romans ; un monastère dans les idées de madame Cottin et de madame Riccoboni ; les bâtiments sont adossés à une montagne qui, à de certaines heures, projette dans les cœurs l’ombre ténébreuse des sapins. La rivière de Bade coule au pied des murs, mais n’offre nulle part assez de profondeur pour devenir le tombeau d’un désespoir tragique ; son éternelle voix se plaint dans les rochers rougeâtres ; mais, une fois dans la plaine unie, ce n’est plus qu’un ruisseau du Lignon, un paisible courant de la carte du Tendre, le long duquel s’en vont errer les moutons du village bien peignés et enrubannés dans le goût de