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VOYAGE EN ORIENT.

n’a le droit d’y prendre domicile : on leur permet seulement d’y venir pendant le jour. Pas un hôtel, pas une auberge, pas même un caravansérail qui leur soit destiné ; l’exception ne porte que sur les Arméniens, Juifs ou Grecs, sujets de l’empire.

Cependant, je tenais à mon idée, et je lui fis observer que j’avais trouvé le moyen d’habiter le Caire, hors du quartier franc, en prenant le costume du pays et en me faisant passer pour Cophte.

— Eh bien, me dit-il, un moyen seul existe ici, c’est de vous faire passer pour Persan. Nous avons à Stamboul un caravansérail nommé Ildiz-Khan (khan de l’Étoile), dans lequel on reçoit tous les marchands asiatiques des diverses communions musulmanes. Ces gens-là ne sont pas seulement de la secte d’Ali ; il y a aussi des guèbres, des parsis, des koraïtes, des wahabis ; ce qui forme un tel mélange de langages, qu’il est impossible aux Turcs de savoir à quelle partie de l’Orient ces hommes appartiennent. De sorte qu’en vous abstenant de parler une langue du Nord, que l’on reconnaîtrait à la prononciation, vous pourrez demeurer parmi eux.

Nous nous rendîmes à Ildiz-Khan, situé dans la plus haute partie de la ville, près de la Colonne brûlée, l’un des restes les plus curieux de l’ancienne Byzance. Le caravansérail, entièrement bâti en pierre, présentait au dedans l’aspect d’une caserne. Trois étages de galeries occupaient les quatre côtés de la cour, et les logements, voûtés en cintre, avaient tous la même disposition : une grande pièce qui servait de magasin et un petit cabinet parqueté en planches où chacun pouvait placer son lit. De plus, le locataire avait le droit de mettre un chameau ou un cheval aux écuries communes.

N’ayant ni monture ni marchandises, je devais nécessairement passer pour un commerçant qui avait tout vendu déjà, et qui venait dans l’intention de refaire sa pacotille. L’Arménien était en relation d’affaires avec des marchands de Mossoul et de Bassora, auxquels il me présenta. Nous fîmes venir des