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LORELY.

ballades allemandes. Toi qui as fait l’éloge de la folie, tu comprendras le ravissement que j’ai éprouvé en voyant toute la ville en fête à la veille de l’érection officielle de la statue de Rembrandt. Le gouvernement n’accordait qu’un jour, mais le peuple en voulait au moins trois. On se réjouissait d’avance dans les gastoffs et dans les musicos. J’ai trouvé à la porte d’un de ces derniers une femme qui représentait très-sincèrement l’image de la Folie dont Holbein a orné tes pages savantes. C’était encore, si l’on veut, « Calliope longue et pure, » charmant de ses accords la foule assemblée dans un carrefour. Son violon, poudré au milieu par la colophane, exécutait des airs anciens d’un mauvais goût sublime. En me voyant, cette femme eut l’intuition de ma nationalité, et joua aussitôt la Marseillaise. La foule sympathique répétait le chœur en langue flamande. Il est naturel, du reste, qu’on accueille bien les étrangers qui viennent assister à une fête artistique.

Le lendemain, toutes les maisons étaient pavoisées, ainsi que les vaisseaux du port ; le canon retentissait pour marquer les pas du temps, — si précieux ce jour-là ! — et les guirlandes de fleurs et de ramées s’étendaient le long de la grande rue jusqu’au Marktplein.

Il ne faut pas trop s’étonner de voir Rembrandt logé sur le Marché-au-Beurre, puisque nous n’avons pu obtenir pour Molière, à Paris, qu’une encoignure entre deux rues, servant de fontaine, et livrée aux porteurs d’eau de l’Auvergne, qui me rappellent cette belle phrase de M. Villemain dans Lascaris : « Les Arabes attachaient leurs chevaux à ces colonnes romaines, qu’ils ne regardaient pas ! »

Toute la population d’Amsterdam était sur la place du Marché lorsque la statue apparut dépouillée des toiles qui la couvraient depuis le 17 mai, époque de son installation. — On entendit sur la place un huzza colossal, que couvrit bientôt l’exécution à grand orchestre du chant national : Wien Neerlands bloed in d’aderen Vloeit[1].... Il était midi et demi, le roi

  1. C’est le sang de la Néerlande qui coule dans nos veines, etc.