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VOYAGE EN ORIENT.

l’aide de mes amis du caravansérail, j’arrivais à me rendre compte au moins du sujet.

Je puis donc rendre à peu près l’effet d’une de ces narrations imagées où se plaît le génie traditionnel des Orientaux. Il est bon de dire que le café où nous nous trouvions est situé dans les quartiers ouvriers de Stamboul, qui avoisinent les bazars. Dans les rues environnantes se trouvent les ateliers des fondeurs, des ciseleurs, des graveurs, qui fabriquent ou réparent les riches armes exposées au Besestain, de ceux aussi qui travaillent aux ustensiles de fer et de cuivre ; divers autres métiers se rapportent encore aux marchandises variées étalées dans les nombreuses divisions du grand bazar.

De sorte que l’assemblée eût paru, pour nos hommes du monde, un peu vulgaire. Cependant, quelques costumes soignés se distinguaient çà et là sur les bancs et sur les estrades.

En Turquie, le sentiment de l’égalité existe sincèrement chez tous, et ce qui le soutient encore, c’est que tout le monde possède une instruction sommaire, suffisante pour tout comprendre et pour tout sentir ; — attendu que l’éducation est obligatoire, et que les gens de toute classe envoient leurs enfants étudier longtemps aux mosquées, où on les instruit gratuitement. — Aussi ne s’étonne-t-on pas de voir l’homme du dernier rang arriver aux plus hautes positions, pour lesquelles il ne lui reste plus à acquérir que les connaissances spéciales.

Le conteur que nous devions entendre paraissait être renommé. Outre les consommateurs du café, une grande foule d’auditeurs simples se pressait au dehors. On commanda le silence, et un jeune homme au visage pâle, aux traits pleins de finesse, à l’œil étincelant, aux longs cheveux s’échappant, comme ceux des santons, de dessous un bonnet d’une autre forme que les tarbouchs ou les fezzi, vint s’asseoir sur un tabouret dans un espace de quatre à cinq pieds qui occupait le centre des bancs. On lui apporta du café, et tout le monde écouta religieusement ; car, selon l’usage, chaque partie du récit devait durer une demi-heure. Ces conteurs de profession ne