Page:Nettement - Histoire de la littérature française sous la restauration 1814-1830, tome 1.djvu/275

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raissent. Les tristesses et les joies, les passions et les inquiétudes de toute une société, soufflent sur eux comme ces grands vents, qui venaient agiter les cordes frémissantes des harpes ossianiques. On fait silence autour d’eux pour les entendre, parce que c’est la plainte de tous qui gémit dans leurs plaintes, ou le cri de bonheur de tous qui s’élève dans leur chant de victoire. Quand Homère célébrait dans son Iliade le triomphe de l’Europe sur l’Asie, Homère, c’était la Grèce : tous les sentiments d’un peuple, tous ses souvenirs, toutes ses passions frémissaient dans cette épopée que les rapsodes allaient chanter aux fils des vainqueurs de Troie. — M. de Lamartine parut, lui, dans une époque qui succédait de près au grand désenchantement de toutes les illusions et de toutes les espérances que le dix-huitième siècle avait mises dans le cœur de la société française. Ce n’était plus ce scepticisme hautain et railleur, fier de révoquer en doute ce que les siècles précédents avaient cru, et qui, rejetant les paroles de Dieu, avait foi dans ses propres paroles et se répandait en prophéties sur les nouvelles destinées de l’humanité. Le scepticisme existait encore, mais il était devenu à lui-même son propre tourment. Au lieu d’un doute railleur et satisfait, c’était un doute douloureux et poignant ou mélancolique qui regrettait la croyance et inclinait à y revenir. Le front de l’humanité sur lequel les joies de l’orgie du dix-huitième siècle avaient passé, était redevenu sérieux ; quarante années d’expérience lui avaient donné la ma-