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du temps. Pour la postérité, un grand nombre de ces productions ne seront plus que des médailles historiques qui serviront a étudier l’époque à laquelle elles appartiennent.

Dans le genre sérieux surtout, il restera peu de chose de M. de Béranger. La vogue de ses chansons nuira à leur renommée définitive. Cela est facile à comprendre. Pour obtenir cette vogue, il a fallu qu’il sacrifiât aux passions de son temps, et qu’il donnât aux hommes et aux choses des proportions fort différentes de leurs proportions réelles. Il a dit lui-même[1] : « Le peuple, c’est ma muse. » Cela est vrai, dans le sens qu’il a toujours recherché la faveur de la foule en caressant ses prétentions, en épousant ses colères, en flattant ses préjugés. Il en résulte que la postérité raisonnable, qui lira à froid ces poésies, composées pour une époque prévenue et passionnée, ne pourra s’empêcher de sourire des enthousiasmes comme des haines de l’auteur, Manuel chanté comme un grand homme, M. de Lafayette proclamé l’homme des deux mondes, Louis XVIII comparé à Tibère, Charles X à Denys à Corinthe, la guerre faite aux Bourbons célébrée comme une grande ère dans l’histoire de l’humanité, les jésuites peints en oppresseurs de la France, le chansonnier lui-même érigé en martyr des rois, et apostrophant sa sœur Philomèle pour lui rappeler, avec une mélancolie toute mythologique, « qu’un roi fit

  1. Préface de l’édition de 1839.