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frontière, comme ils n’avaient point de passe-port, ils voyagèrent de nuit et à pied ; car, en leur qualité d’émigrés, ils ne pouvaient rentrer que clandestinement dans leur patrie. Après deux nuits de marche dans les montagnes du Jura, ils traversèrent, à la faveur des ténèbres et au milieu d’un orage, un torrent rapide gonflé par la fonte des neiges, et, évitant les postes militaires, ils se trouvèrent en France, près de Pont-d’Ain et bientôt à Lyon. Après trois semaines de séjour dans cette ville, sur les murs de laquelle on lisait encore ces mots : Commune affranchie, et où ils attendirent les secours nécessaires pour continuer leur route, car la pauvreté, cette triste et fidèle compagne des émigrés, aggravait les périls et les difficultés de leur voyage, ils s’embarquèrent sur le Rhône, et arrivèrent heureusement à Nîmes, puis à Montpellier, où madame de Bonald, accompagnée de ses deux plus jeunes enfants[1], était venue au-devant de son mari et de ses deux fils aînés. Les poursuites dirigées contre les émigrés à l’occasion des événements du 18 fructidor obligèrent M. de Bonald, après quinze jours seulement passés à Montpellier, à venir chercher un asile à Paris, où le crime dans les temps réguliers, la vertu dans les temps de révolution, trouvent un asile plus impénétrable et plus sûr. Ce fut dans la profonde retraite où il se cacha, chez une bonne et sainte per-

  1. Le plus jeune était Maurice de Bonald, aujourd’hui cardinal et archevêque de cette ville de Lyon, où son père le plaça, à cette époque, dans un pensionnat.