Page:Nettement - Histoire de la littérature française sous la restauration 1814-1830, tome 1.djvu/92

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poraines, lorsque, dans les entr’actes de paix, il était moins bien reçu qu’à l’ordinaire à son entrée au théâtre, il lui arrivait de dire aux confidents qui l’entouraient : « Messieurs, il faudra bientôt rentrer en campagne. » Le véritable titre de sa toute-puissance, c’était sa supériorité. Le canon des Invalides, annonçant de nouvelles victoires, affermissait la première en constatant la seconde, et empêchait de remarquer le silence auquel étaient condamnées à l’intérieur toutes les voix, hors celle de l’empereur. La guerre lui était indispensable à deux points de vue : non-seulement il couvrait avec les drapeaux ennemis les blessures que son gouvernement intérieur était obiigé de faire à la dignité humaine et aux libertés les plus précieuses de la France, mais il donnait une issue sur les champs de bataille à tous les tempéraments ardents, à toutes les natures vigoureuses qui lui eussent créé des embarras à l’intérieur, et il pratiquait ainsi le grand art du gouvernement, qui est de se faire des moyens avec les obstacles.

On a conservé le souvenir de deux mots qui résument assez bien les deux attitudes que l’on trouve chez la plupart des hommes d’intelligence de cette époque. On demandait au métaphysicien Siéyes, sous l’empire : « Que pensez-vous ? » Il répondit : « Je ne pense pas. » Cette parole d’un penseur fatigué, désenchanté de ses théories, plein de mépris pour celles des autres, exprimait la situation du plus grand nombre. On ne pensait pas, on regardait l’empereur agir, quand